Mes chers petits,
Un jour, vous vous sentirez américains. Un jour, vous parlerez anglais mieux que nous. Un jour, vous oublierez peut-être votre français. Un jour, vous trouverez répugnant de manger des rillettes. Et un jour, vous rigolerez bien de vos deux cloches de parents qui se plaignent du manque de bon pain, ou se vantent d'avoir réussi à passer un permis que vous aurez quand vous aurez seize ans à peine.
Mais avant d'en arriver là, il faut bien s'adapter. Tout le monde me dit que vous allez apprendre vite, qu'en 2 mois, vous saurez parler et comprendre l'anglais. Ils connaissent tous un enfant qui a appris telle ou telle autre langue. D'autres me parlent que leur enfant a oublié sa langue maternelle.
Tout cela est assez effrayant quand on est au milieu de cette transition. Avant, on est confiant des expériences des autres. Après, je suppose qu'on gère l'oubli du français petit à petit. Mais pendant! Pendant est le plus gros morceau, le plus court, certainement, mais celui qui pèse lourd dans la balance. Dans le fond, qui sait COMMENT un enfant apprend une langue quand il ne reçoit aucun cours, mais qu'il est en immersion totale? Je pense qu'il faut qu'ils se débrouillent, et ça, ça exige donc qu'ils utilisent leurs ressources. Et les nôtres au passage.
Chaque soir, il y a les devoirs à faire. Maths, ça roule, langage universel. On traduit les problèmes, ça prend 20 min par enfant. Sauf qu'il n'y en a pas un seul qui accepte d'attendre, donc on a les 2 enfants qui posent des questions en même temps. Et comme Pierre a aussi des devoirs, et qu'il faut attentivement surveiller car il n'en fait qu'à sa tête, j'ai souvent l'impression d'être une cocotte minute dont la soupape va lâcher.
Ce soir, Raphaël avait une feuille de maths sur les nombres pairs. Puis une feuille de dictée avec des petits mots de trois lettres (Bag - dig - his- was - win - etc). Gabrielle a de la lecture, des états et capitales à apprendre, de l'histoire-géo, etc. Elle a déjà passé quelques tests.
Je ne sais pas comment elle fait, si elle est aidée, ou si ce sont des notes d'encouragement. Tout est sur le site internet de toute façon: schoology. On voit les devoirs à faire, les résultats aux tests (à l'heure près, et même le temps qu'ils ont mis pour le faire). On a aussi l'agenda: réunions, sorties scolaires, événements organisés par l'association de parents... Mais hier, patatra. Je vois 2 notes qui arrivent: un 10/10 et un 10/100. Ma fille a une moyenne de 18% et quelques de réussite en maths!
Je comprend qu'elle se vautre en anglais, c'est normal. L'inverse me rend perplexe justement. Mais en maths?? J'ai passé la journée un peu embêtée. On aurait peut-être dû la mettre en 4th grade ? Elle aurait passé une année tranquille, et aurait pu faire un 5th grade en étant déjà parfaitement bilingue? La miss semble contente pourtant, elle travaille sur ses leçons à apprendre, elle traduit avec son petit dico, elle a une copine, Ashley. Et si elle ramait toute l'année? Et Pierre, dont je pensais qu'il serait peinard, en maternelle. Non, il a des devoirs à faire pendant la semaine. Des écritures à faire, un peu de dessin, un peu de maths, et aussi un "stretch words": il doit essayer de retrouver les lettres qu'il entend dans un mot. Par exemple, il y a un dessin de bonbon, de brosse, de tente... Ca l'a rendu très nerveux. Candy, il sait déjà pas vraiment ce que ça veut dire, même s'il voit bien le dessin. Il est sur la défensive. J'ai essayé en français, après tout... mais non, dans BONBON, il entend rien. Avec la tente, qui se dit "tent" en anglais, je l'ai un peu aidé pour parler du T. Qu'il a écrit D. Tout va bien... j'avais pas assez de boulot avec les 2 aînés!
Ce soir, je retourne comme chaque jour sur le schoology de Gabrielle, et je lis la newsletter de la maîtresse. Demain, test de DLI. Bon sang, je rame moi aussi. Et je vais vois les notes, en voilà de nouvelles! 40/100 pour Wordly Wise 1. Je regarde, on voit même les questions et ses réponses. Elle me dit qu'elle l'a fait toute seule, et je trouve que c'est plutôt un bon résultat, même si je pense qu'il y a beaucoup de hasard. Je regarde à nouveau les notes, et je vois que le test de maths de la veille est repassé à 10/10! Une faute de frappe, probablement. Son score en maths repasse à 100%. Je suis finalement rassurée... Hier, j'avais reçu un mail dans l'après midi, disant que Raphaël venait de passer un test de lecture: il a lu un dr Seuss et a obtenu 100% au quizz! Mais comment est-ce possible?
J'en sais rien. Je vais vous dire: ce suivi de note, en fait, c'est ça qui me fait vraiment flipper. Je ne sais pas trop comment j'envisageais ces premiers temps à l'école. J'ai toujours eu des enfants qui marchaient bien à l'école. Gentils et polis, qui comprenaient assez facilement (parfois trop facilement), à l'aise. Là, ils ne comprennent plus rien. Gabrielle aimant la difficulté, ça passe. Plus c'est dur, plus ça la motive. Les mauvaises notes en "anglais"? Elle me répond en haussant les épaules "ben j'ai essayé quoi". Ca lui fera jamais un cheveu blanc. Raphaël et Pierre, n'aiment pas trop cette immersion totale pour le moment. Socialement ça va, ils voient qu'ils auront des copains. Les lieux leurs plaisent, l'école aussi. Mais si seulement tout le monde pouvait apprendre le français, ils trouveraient ça parfait.
Ce soir, j'ai fait la dictée de mots à Raphaël. Ah, quelle chance ont ces petits "surdoués" d'avoir une bonne mémoire. Il a réussi. Du coup, il était rassuré pour le test de demain (lui par contre, sera vraiment miné d'une mauvaise note). Tellement content qu'il a voulu écrire un livre. Je sais qu'ils apprendront vite l'anglais, et rattraperont leur retard. Mais diantre, je compatis. J'ai hâte que cette transition soit terminée. Je n'aimerais pas être un enfant au milieu de gens que je ne comprends pas.
Pierre, avant hier, s'est posté comme à son habitude devant les boutons de l’ascenseur. Un couple de l'hôtel, ne pouvant y accéder, lui a demandé "Can you push button three please?". Le minot s'est exécuté tranquillement. Il a appuyé sur le trois. Je pense qu'il a entendu "three" et ça lui a suffit. Je flippe probablement plus qu'eux. C'est comme la première fois qu'ils iront seul dans la rue. Oui, ils seront capables de le faire, mais j'attendrais certainement leur retour avec anxiété. Pourvu qu'ils ne soient pas réduits à l'état d'oeufs brouillés par une voiture, ou qu'ils n'aient pas rencontré le grand méchant loup. J'attends juste qu'ils soient enfin arrivés de l'autre côté de la route, en fait. Mais avec ces sites internet et ce suivi poussé des notes ici, j'ai l'impression qu'on me force à voir tout leur trajet, sans pouvoir les guider! Imaginez les suivre avec une caméra et voir qu'ils vont marcher dans une crotte de chien. Ou que la voiture n'a pas l'air de s'arrêter au rouge.
Bon, je vais gérer mes émotions de maman comme une adulte responsable. J'essaie de ne pas harceler les maîtresses avec leur email ou téléphone. Lâcher tout contrôle. Mais je resterai harcelée pendant toute leur scolarité par leurs notes qui arriveront à la seconde par mail sur mon téléphone. Imaginez quand ils seront ADOS!
Ce soir, donc, Raphaël qui était rassuré nous a gratifié d'une magnifique oeuvre: son tout premier roman. Et vous savez quoi? Je trouve ça super mignon maintenant. Et je sais aussi déjà que bientôt, je passerai à l'angoisse "mon dieu, mon fils sera t-il capable d'écrire correctement en français?"
Titre du livre "Le Monde tout anti" (le monde tout entier) |
"Paris é chartes son une viles conu" (Paris et Chartres sont une ville connue) |
"Leizétasuni ë la vile ou on nait" (= les Etats Unis est la ville où on est. Sur le dessin, il a écrit Canada) |
"hant" ( = end, comme dans les films) |
Ma belle je compatis mais tu sais, on en a pour jusqu'à notre mort, de s'inquiéter pour nos enfants... Tu sais la ressource dont tes enfants disposent, alors tu SAIS qu'ils vont y arriver, et arrête de te focaliser sur les notes! Bon ok j'ai beau jeu de dire ça avec mon Emilien qui fait un saut de carpe par dessus la 4è...
RépondreSupprimerGabou ayant 1 an d'avance elle ne risque pas grand chose et visiblement elle est zen!!
Allez, bon courage
Par contre faut pas qu'ils oublient leur français, ce serait trop bête...
Bisous à tous, notamment à ton romancier en herbe, j'adore!!
Je sais... Mais de même qu'on SAIT qu'une opération des amygdales se passera bien, on préfère tout de même l'après, quand on te redonne ton gamin. L'entre deux reste un petit moment tendu.
SupprimerDéjá pas de raison qu'ils oublient leur français! Je pense que vous continuerez trés longtemps à ne leur parler que français entre vous. La langue utilisée au départ est celle qui reste (c'est mon expérience et celle de ma mère qui parle lá!).
RépondreSupprimerIci Anaëlle et Flavien sont nés en GB et ont fait toute leur scolarité en école britannique et australienne. Seul Bruno leur parle français exclusivement. Moi, je fais 70% anglais, 30% français. Anaëlle parle les deux langues parfaitement.Je crois qu'elle a trés vite capté l'avantage que cela lui donnait. Flavien, lui est un peu plus tranquille. Il faut le forcer un peu.
Ne leur demande pas d'avancer trop vite non plus! Les notes ne sont pas tout. Cette migration va augmenter leur capacité d'aptation de façon phénoménale. Et ça, ça ne s'apprend pas dans les livres ;-)
Oui, oui, on parlera français. Mais j'ai aussi l'expérience de parents français, d'ados nés ici. Il n'est pas si évident qu'ils aient un français correct, qu'ils sachent lire ou écrire le français, ou bien qu'ils aient TOUT le vocabulaire. Je pensais aussi qu'ils auraient un français évident, mais non. Leur évidence sera l'anglais. C'est pour cela que des mamans ici ont crée des cours de français pour les francophones. Je fais confiance aux expériences des autres (la tienne, et les leurs). Je resterai juste attentive pour voir si leur niveau baisse en français.
SupprimerTous vos repères sont tellement bouleversés qu'il est normal qu'une angoisse naisse pour tous les détails !
RépondreSupprimerBon courage à vous, vous dépasserez bientôt ce stade.... en attendant, prenez-le comme ça vient : une période de flottement et d'adaptation pour tous !!!
Oui, de flottement. C'est exactement ça. Pas très agréable. Même si on sait que le but sera atteint. J'ai juste hâte d'être sortie de cette phase.
SupprimerComme je vous comprends, qui peut trouver agréable d'avoir "le cul entre deux chaises", comme on dit en bon français !!!! ;)
SupprimerJe comprends tes angoisses. Mais je suis sûre qu'ils vont s'en sortir.
RépondreSupprimerOui moi aussi. Mais bon, en attendant...
Supprimerc'est le lot de tous les parents ( et même leur role) de s'inquieter pour leurs enfants et dans une situation nouvelle l'angoisse est plus forte.les enfants n'oublieront pas le français avec des parents, des grand parents et des cousins le parlant mais ce sera à vous de veiller à ce qu'ils le lisent et l'écrivent .ici, en Guadeloupe tout le monde parle créole mais le lire et l'écrire c'est une option au collège ( et mon fils avait choisi latin et grec)
RépondreSupprimerla double culture c'est toujours un plus même si le début est compliqué et vous n'êtes là que depuis un mois.
bon courage
noecassandre
Oui, l'oral restera. L'écrit, tout sera à apprendre pour le plus petit. Gabrielle, c'est acquis (pour la lecture, pas pour l'orthographe...). Raphaël est entre deux. Il sait lire, mais n'a aucune base de grammaire.
SupprimerBon. Je ne sais pas si tu sais, mais j'ai été professeur en classe d'accueil pendant 10 ans, pour y enseigner le "FLS" (français langue de scolarisation). J'ai donc vu passer des centaines d'enfants étrangers, âgés tous de dix à vingt ans à leur arrivée (donc plus âgés que les tiens: c'est plus dur!), et pas des enfants issus des classes moyennes en général, mais plutôt des enfants de familles très défavorisées, réfugiés, souvent même arrivés tout droit de champs de bataille ici ou là.
RépondreSupprimerHé bien tous parlaient et se faisaient comprendre en quelques semaines.
Pour les notes, oublie, laisse tomber, ça ne veut rien dire. essaie de désactiver les alertes si possible, et ne regarde qu'une fois par semaine ou tous les quinze jours. Il y a de grandes chances que les critères de notation t'échappent largement: personne ne noterait un primo-arrivant comme un natif, de toute façon, donc je pense qu'elles ne veulent pas dire grand chose pour le moment. Essaie de te donner au moins quatre à six mois avant de te poser des questions. Les enfants n'apprennent pas de façon homogène ni prévisible. Certains restent muets comme des carpes au point qu'on se demande s'ils sont stupides pendant trois mois puis ouvrent la bouche pour parler couramment sans accent. D'autres se débrouillent dès la première semaine en "petit nègre". Mais au bout d'un an, tous parlent couramment ou presque, je te le promets. Il faut laisser du temps et surtout faire confiance, parce que si la maîtrise de la langue devient un enjeu familial, ça peut bloquer le processus plus qu'autre chose. Il faut essayer de ne pas être fière quand ça marche ni inquiète quand ça cafouille. A terme, ça n'a aucune importance.
Flute, ma réponse n'avait pas été enregistrée. Donc je disais que j'étais pas du tout stressée par ces notes! Moi, je m'attends à une année complète de flottement, et s'ils rejoignent le milieu du troupeau en fin d'année, je trouverais ça extra. Le hic, ce sont ces premiers mois. Qui sont durs, faut pas se leurrer. Ils ne viennent pas d'un pays en guerre, ni d'une autre planète (deux pays occidentaux ont tout de même beaucoup de points communs). Mais c'est pas si facile au quotidien de récupérer ses enfants après l'école, fatigués de faire face à cette barrière linguistique, déçus de ne pas communiquer avec les communs, et tristes d'être notés sur des compétences qu'ils ne peuvent pas encore avoir. Hier Raphaël a eu une "mauvaise" note, et nous avons donc TOUS passé une mauvaise soirée. Il partage extrêmement bien son stress..
SupprimerTon récit est poignant tant on ressent bien les inquiétudes et le stress , des notes...et de leur adaptation dans ce monde nouveau. C'est tout à fait normal. Il faut réussir à avoir confiance en nos enfants en général. Les tiens ont l'avantage d'être intelligents et entourés par des parents à l'aise en anglais et très présents pour eux. Bon courage.
RépondreSupprimerIsabelle v
J'ai confiance en eux. Mais j'ai juste envie d'être en novembre, quand le plus dur aura été fait, qu'ils seront en vacances et démarreront une nouvelle période.
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