Si vous ne connaissez pas cette phrase, mes enfants, vous êtes en sérieux manque de culture. Filez voir Forrest Gump, et vite!
Donc il y a des moments où tout va bien. On tombe sur le bon chocolat. C'est rare en fait, mais ça arrive. On gagne au loto, on rencontre l'homme de sa vie, on réalise son rêve d'enfant ou bien on passe des vacances paradisiaques.
Il y a les périodes soucieuses. Où on a beaucoup de petites choses désagréables à gérer. Le quotidien, les factures à payer, les ampoules à changer, le frigo qui lâche...
Et il y a les périodes terribles, où de graves malheurs s’abattent sur nous.
Le plus grand apprentissage de la vie est de savoir se réjouir des périodes heureuses, sans se préoccuper des détails. De prendre le temps de pleurer des grands malheurs, puis s'en relever. Et en dernier, le plus dur, savoir remettre à leur juste place les périodes soucieuses. Ca prend souvent des années. Certains réussiront peut-être à gérer ça très tôt, et d'autres ne sauront jamais le faire. Il s'agit en fait, de savoir, quand on a des problèmes dans sa vie, ne pas leur donner une plus grande importance qu'il n'en a en réalité.
J'ai connu, comme tout le monde, mon lot de joies et de peines dans ma courte vie. Des gros, des petits. J'ai constaté qu'on gérait mieux les gros que les petits, étrangement. On va râler des jours entiers, se soucier sans demi-mesure de choses de peu de conséquences. Et quand un drame arrive, on a bien trop tôt fait de relativiser, dédramatiser, passer à côté. Quand aux joies, on attend, on exige qu'elles arrivent, presque toutes seules. Et si elles sont en nombre inférieur à ce que nous pensons être le dû d'une belle vie normale, alors, on se déclare officiellement sur facebook avec un "vie de merde". Ou VDM, pour les intimes.
Ces dernières semaines ont encore été pour moi l'occasion de revoir tout cela.
-La fuite d'eau. Nous avons eu, je le disais brièvement dans le dernier billet, une infiltration d'eau à la maison. En France comme aux USA, ça n'amène rien de bon. Nous avons eu la visite de l'assurance le jour d'Halloween, nous disant que l'intérieur serait couvert, mais pas la réparation du toit, ou du mur qui avait provoquait cela. Et moins une franchise de 1000$. J'ai passé une mauvaise soirée. Moi qui souhaitais profiter de cette fête typique américaine, j'ai pas réussi à me détendre. Tout ce que je voyais était que cette année encore, les finances allaient être compliquées, et qu'on pouvait déjà arrêter de penser à un retour en France l'été prochain. Jusque là, je gère. Mais imaginer dire à mes garçons "je suis navrée, vous ne rentrerez pas au pays avant encore 2 ans", m'a bouleversée. J'ai tenu bon la soirée, mais le lendemain, mon esprit tortueux m'a réveillé à 4h. J'ai pleuré, et ça m'a rappelé les bons souvenirs du mal du pays de l'an dernier.
MAIS, mais... J'ai décidé il y a quelque temps que je faisais le choix de la joie. Et que les sentiments, aussi, peuvent se raisonner. J'ai pleuré ce que de droit, puis j'ai pris ma douche, fait mon maquillage, nourri les enfants et préparé leurs lunchboxes, et je les ai amenés à l'école. A la fin de ma routine quotidienne, j'avais déjà digéré ce problème d'argent.
-Le lendemain, mardi 1er novembre, férié en France mais pas aux USA, une équipe avait déjà commencé à travailler. Ils ont scellé les murs abîmés avec du plastique, mis des grosses machines dedans. Les couloirs ont été recouverts de papier et protégés. Nous avons 3 chambres abîmées, dont les murs devaient être asséchés. La moisissure avait commencé à s'y développer. François a démonté le lit des garçons pour les installer dans la salle de jeu. Les ouvriers ont mis leurs machines en route, et ce fut le début de 8 jours non stop de soufflerie à la maison. 8 jours avec l'équivalent de 3 très gros aspirateurs au niveau sonore. On a connu mieux pour la migraine. Les enfants ont eu une certaine tendance à être irritable. Nous aussi, en fait. Mais ça n'a plus du tout affecté le moral. On attendait juste, tout de même, de savoir combien coûterait de réparer le toit.
-Mercredi matin, j'avais rendez-vous avec ma copine Anita pour prendre un café. On devait se retrouver chez Starbucks après avoir déposé les enfants à l'école. J'ai donc, pour une fois, pris la voiture au lieu de marcher pour l'école. Le système ici est pratique: il y a une file pour déposer les enfants à l'école en toute sécurité, et du personnel enseignant qui fait la surveillance du parking pour que les voitures ralentissent. Après les avoir déposés, j'ai donc pris la direction de l'un des 3 starbucks situé à moins d'un mille de chez moi. Je m'arrête au stop, comme d'habitude. Je redémarre tranquillement, comme d'habitude car juste après il y a un feu tricolore qu'on ne voit qu'après avoir dépassé un arbre. Et vous savez comme on connait bien son quartier... ce feu là est rapide. Il passe vite au rouge, vite au vert. Quand mon arbre me laisse entrevoir que le feu est orange (on dit jaune, ici), je suis comme toujours les instructions apprises lors de mon permis: on regarde dans le rétroviseur si l'arrêt est sûr, puis on s'arrête. Il n'y avait rien dans mon rétro. Je m'arrête quand le feu vient juste de passer au rouge. Comme appris aussi, mon pied appuie fermement sur le frein, toujours "si quelqu'un te rentre dedans, tu te retrouveras pas projetée au milieu de l'intersection, à la merci des autres voitures". Je tourne la tête à gauche pour regarder les voitures démarrer sur la gauche, avec cette instersection, c'est quasi instantané. Et là, d'un coup, gros coup de poing dans la figure. Je le reconnais... je l'ai déjà vécu. Ca s'appelle un accident, et ma tête a heurté quelque chose.
Contrairement à ce que l'on peut croire, un accident fait peu de bruit. Dans les films, on entend un bruit de métal, de verre qui se brise, un gros boum. Un vrai accident est plus silencieux. Le parebrise ne fait pas de bruit en cassant, la tôle qui se froisse ne s'entend pas. C'est comme un "ploc", amorti.
Ma première réaction, ce que j'ai ressenti, était un sentiment enfantin, puéril. "non, je veux pas, pas d'accord, je refuse. Je refuse d'être encore blessée, je refuse de recommencer les problèmes". J'ai déjà connu ça en 2012, en version grave. Je suis restée dans ma voiture, sans bouger, en commençant à pleurer. Je ne sais même pas ce qu'il faut faire en cas de problème ici. Je refusais absolument tout ce qui se passait.
Un type vient à ma fenêtre, et je vois une voiture arrêtée à droite, avec un mec qui sort. Le type à gauche dit "So... do you want to call 911 or? ". J'ai répondu que je savais rien, je voulais juste appeler mon mari. C'est dans ces moments où on fait pas la fière d'être immigrée. On a l'impression qu'on sera forcément fautif de quelque chose. François était resté à la maison pour accueillir les ouvriers, pour me permettre de prendre cette petite heure avec mon amie. Mais mon téléphone, bien entendu, avait volé loin derrière. Je l'ai appelé en pleurant, il a dit qu'il arrivait. Le mec de droite entre temps était venu dire à l'autre qu'il avait déjà appelé 911, et les pompiers / ambulance / policiers arrivaient déjà.
Après, donc, j'ai du répéter plusieurs fois à plusieurs personnes que j'étais juste arrêtée au feu rouge, que j'avais freiné en voyant le feu orange. Je sais qu'ici, on ne s'arrête pas vraiment au feu orange. Les feux sont souvent grillés. J'ai pris le temps de regarder derrière... il y avait une voiture emboutie. Un coupé BMW roadster Z3. Je me suis dit que c'était un riche, qu'il prendrait un bon avocat pour me rendre coupable, puisque les immigrés ont toujours tort, et qu'en plus de payer mon toit et mes murs j'aurai à payer sa voiture. L'ambulancier me demande si je vais bien, je lui ai dit que j'avais mal au visage. Il me dit que j'ai une petite coupure. Il est gentil, et rassurant. C'est son métier. Avec François on décide que j'irai pas dans l'ambulance, il m'emmènera aux urgences plus tard. Ici tout coûte un bras, et parois le reste du corps avec. Alors on va éviter les factures supplémentaires. La police prend des mesures, des dépositions. Les pompiers nettoient les débris et l'essence répandue au sol. François va demander à l'autre conducteur ce qu'il s'est passé, et sa réponse est "je ne dirai rien avant d'avoir parlé à l'officier et à mon avocat". Il a fallu après s'enquérir des formalités: que faire de la voiture, on fait quoi avec l'assurance, etc. Le policier ne répond pas "vous n'avez qu'à le savoir", ou "démerdez vous". Il répond gentiment, précisément à chaque question.
Pendant que François m'emmène aux urgences, j'appelle mon voisin. Tel que je le connais, il connait très bien la loi et la constitution américaine. Il me dit de pas paniquer, le mec est en tort. Comme l'autre gars m'a accusée par la suite d'avoir pilé au feu rouge, Marc me répond qu'on s'en fout complètement. Je peux freiner quand je veux, où je veux, pour les raisons que je veux. Si je veux piler pour ne pas écraser un écureuil, c'est mon droit, et c'est à lui de maîtriser sa vitesse, sa distance et son véhicule pour s'arrêter à temps. Je suis donc rassurée. Je ne risque aucune poursuite.
C'est bête comme on peut avoir peur d'un rien. Après, malgré la douleur, le mal de tête, le nez et l'arcade sourcilière probablement fêlés, J'allais bien. J'ai donc pris au pire 2h à digérer l’événement. Après, j'étais juste contente de pas être blessée plus que ça, qu'on ait une seconde voiture pour se débrouiller. J'étais moins contente pour mon rdv raté avec Anita.
S'en sont suivis, pendant une semaine, des rdv avec ouvriers et couvreurs, des annonces de facture ici ou là (200$ pour la visite aux urgences, desquelles je suis repartie avec 2 pansements pour mon nez et un peu de désinfectant), une prise en charge de voiture de location, être sommée d'aller voir un chir esthétique à Sacramento pour mon nez (qui est resté bien droit, merci du déplacement), etc.
Ah oui, et ... L'arrivée de Didier! Didier est le collègue et ami de François. Il est ici pour le travail, et François lui avait proposé comme à chaque fois de dormir à la maison. On a une chambre d'ami quasi inutile. Sauf que là, elle est en chantier. La salle d'étude également, où nous avons installé un canapé-lit. La chambre des garçons l'est aussi. Donc il nous reste... plus qu'à le faire dormir dans la chambre de Gabrielle, et les 3 enfants dans la salle de jeux. C'est bizarre comme eux prennent chaque "souci" pour un énorme drame. Mon accident les a peut-être marqués, mais c'est rien du tout comparé au fait que "machin veut pas éteindre sa lumière" ou "bidule m'a jeté une peluche sur la figue", ou "il a mis sa chaussettes sur mon lit". Des drames insurmontables, quoi.
Et c'est là où tu essaies d'apprendre à tes enfants:
"La vie, c'est pas une journée ensoleillée. C'est savoir danser même quand il pleut."
Attention, elle est rude pour eux celle là. Puisqu'il pleut tout le temps. Que dis-je! des orages, des tempêtes! On a beau essayer d'être un exemple de positivisme, ils n'en prennent pas encore le chemin. Ah, ça m'amène à la prochaine phrase importante pour moi:
"Il y a ceux qui trouvent des problèmes à toutes les solutions"
Puisque chaque fois que j'offre une solution à leurs problèmes "ben tu mets la chaussettes au sale, ça va pas te transmettre la rage" "Tu dis à ton frère que tu n'aimes pas recevoir des objets dans la figure" "On lira une autre fois, le livre ne vas pas changer son histoire pendant la nuit", leur réponse commence toujours par "non mais..."
Ces dernières semaines, on encaisse donc des sacrés trous dans le budgets. Des blessures. Des problèmes d'organisation. Des changements de programme. Du stress au boulot (pas moi, hein... ma machine à coudre est plutôt sympa en ce moment). Des résultats d'élection qui nous plaisent guère. Des cris de disputes d'enfants du matin au soir. Et plein de petits autres désagréments -la clé qui casse dans la porte alors que nous comptions visiter muir woods, forçant à changer la serrure de la porte d'entrée. François y a passé 3 heures, aurevoir la sortie en famille. Ah, ou aussi: hier j'ai perdu mon alliance... mon alliance... Mes doigts, en hiver, et avec le stress, on maigri et elle glissait depuis 2 ou 3 jours. Je ne sais pas si je pourrai la retrouver. Les travaux de démolition des murs sont faits, pas la réparation encore. La voiture va pouvoir être réparée, quasiment au prix de sa valeur, et d'ici 2 semaines.
Bref, la scoumoune*. Et pourtant... JE VAIS BIEN!!
Je ne me sens pas malheureuse. Ni ai-je envie d'écrire que j'ai une vie de merde. Malgré ces soucis, nous sommes plus chanceux encore de la moitié de la planète, voire plus. Certes, nous allons serrer le budget des enfants à Noël, et nous n'irons pas passer un week-end à Tahoe voir la neige comme nous en rêvions depuis notre arrivée. Nous n'irons pas à Yosémite, ni voir les baleines à Monterey. Nous passerons des fêtes sous notre toit réparé, dans une zone tranquille et sûre. Nos enfants ont accès à l'éducation, et une très bonne éducation. Nous mangeons tous les jours à notre faim, et pire: nous avons le luxe de choisir nos plats. Nous sommes en bonne santé. François a toujours un travail, même si certains jours il en doute (sur ce, je le réprimande durement. Les probabilités d'aimer son boss, de se sentir utile et valorisé sont faibles, dans le monde entier). Nous n'irons peut-être pas en France l'été prochain, mais nous pouvons rester en contact et attendre un an de plus.
Bref: sécurité - nourriture - toit - santé. Avec ça, on a le quatuor gagnant. Tout le reste est éphémère. Chaque souci se réglera un jour, ou aura une solution avant, ou bien il faut simplement apprendre à ne pas y attacher une importance trop grande. Mieux vaut danser sous la pluie que de pleurer sous le soleil. J'ai donc décidé de ne mettre aucune photo des dégâts maison, voiture, ou de la pluie qui tombe. Le prochain billet sera consacré aux bonnes choses qui sont arrivées, car il y en a eu, avec des belles photos qui méritent leur place dans nos souvenirs.
Les enfants sont en vacances depuis avant-hier vendredi. Je ne sais pas encore quelle solution trouver à ce problème, mais si je n'en trouve pas, il me restera toujours la patience et l'abnégation: c'est éphémère! Dans une semaine, ils retournent à l'école, et moi à mes 4 heures de silence quotidiennes.
A bientôt!
*Scoumoune vient du latin excommunicare"excommunier", passé par l'italien ou le corse. Argot de truand.
Ton billet me bouleverse et en même temps fait écho à une conférence à laquelle nous avons participé samedi... Il faut positiver!!!! Tu as bien raison...
RépondreSupprimerMerci. Tu me raconteras cette conférence!
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