mercredi 31 août 2016

Petite feuille blanche deviendra grande

Un Lundi soir, ma boîte aux lettres reçoit un e-mail surprenant. La maîtresse de Gabrielle annonce qu'il y a de gros soucis au sein du cinquième grade. La bataille des garçons et des filles. 

Elle explique qu'il y a des agressions verbales et physiques entre des clans de filles et des clans de garçons. Que le lendemain, elle et son collègue, Mr G. allaient séparer les 5th graders en deux groupes, filles avec Mrs F. et garçons avec Mr G. pour parler du problème. Et si les problèmes perdurent, les sanctions plus lourdes tomberont.

Le mardi était ma journée de volontariat. Je passais aider les instits dans les 3 classes. Pour Gabrielle et Raphaël, je faisais les "tuesday folders": Chaque Mardi, l'enfant repart avec sa pochette comprenant: ses tests, ses exercices faits dans la semaine, les communications de la prof (newsletter hebdomadaire), les pubs de l'assoc' des parents, ou des pubs pour des clubs sportifs et activités extra scolaire. La prof me donnait des piles de 25 à 35 feuilles, que je mettais dans les dossiers. Puis, je remplissais chaque pochette avec les papiers. Ca me prenait environ 45 min en 2nd grade, et parfois 1h15 chez les 5th grade. Ce qui m'a surprise, voir choquée, c'était mon accès à des informations sur les élèves, tels que.. leurs notes! Je sais qui est bon élève, qui ne l'est pas. 

Pendant que je faisais mon petit triage, Mme la directrice débarque. C'est une femme de taille moyenne, blonde aux cheveux carrés parfaitement coiffés chaque jour, maquillée, souriante, très dynamique. Elle est aussi douce et aimable qu'elle peut être stricte et sévère quand il le faut. Une fois, alors que j'étais au secrétariat (nous nous inscrivons sur une feuille à chaque fois que nous devons aller dans une classe. On dit à quelle heure on entre, et quand on repart. On prend un badge visiteur, et on part dans la classe), je l'ai entendue sévèrement réprimander un élève. Je peux vous dire qu'il vaut mieux ne pas avoir d'ennuis. Les mots sont tous bien choisis pour être fermes, jamais insultants, jamais rabaissants. La frontière entre ce qui se fait, et ne se fait pas, est très déterminée. 

Cette femme, donc, arrive en classe. Elle demande doucement et poliment à la prof la permission de parler aux élèves. Dès lors, le ton devient ferme, et militaire. Elle demande à un élève de distribuer des feuilles blanches aux enfants, du type de celles que l'on met dans les imprimantes. 

Ensuite, elle leur a demandé de décrire la feuille. "blanche", "lisse", "douce", "belle" etc.

Puis, elle leur a demandé de mettre la feuille en boule. De bien tasser. De marcher dessus. De déchirer, pourquoi pas. Qu'ils se lâchent! 

Puis, elle leur a demandé à remettre la feuille à plat, comme au début. Ils ont déplié, lissé à la main. 

Et là, elle a leur a redemandé à décrire leurs feuilles: "déchirée" "détruite" "cassée" "moche" "inutilisable" etc

Puis elle leur a dit "les enfants, lorsque vous rencontrez une personne, elle est comme la feuille blanche. Pure, belle. Lorsque lui vous dites des choses blessantes, lorsque vous l'agressez, alors vous cassez la personne, elle est abimée. Essayez de lui demander pardon maintenant! Allez-y, allez-y". Et les élèves de dire "pardon, je suis désolé" à leur feuille blanche...

"Maintenant, est-ce que votre feuille est en meilleur état?? Vous trouvez que vos excuses l'ont aidée? Non? Vraiment? Le mal qu'on fait est un dommage irrémédiable, les enfants. On ne peut pas se moquer de l'autre, et jeter un "ca va, désolé" après. La personne est marquée à vie par les blessures que les autres lui infligent. Vous aussi. Vous commencez en feuille blanche, et en fonction des gens que vous rencontrerez, vous serez une feuille plus ou moins abîmée. C'est votre devoir de prendre soin de vos camarades. Le mal fait ne partira jamais. Gardez cette feuille quelques jours, pour vous en souvenir. Et plus longtemps s'il faut. Je ne vous laisserai pas abîmer d'autres enfants, je serai très ferme à l'avenir. C'est mon devoir de vous protéger, TOUS. Passez une bonne journée."

***

J'ai trouvé cette explication remarquable. C'est tellement simple et facile à expliquer à un enfant, et même à un adulte. Se moquer, insulter, taquiner, vanner... ça marque à vie. Tout le monde se souvient des taquineries reçues enfant. Mises à part les souffrances que ça peut provoquer, il y a aussi des complexes, le manque de confiance en soi, les angoisses, la tristesse, la solitude, le manque d'amour... tout ça peut naître d'une moquerie d'un camarade. Ayant connu les moqueries, en primaire, au collège ou au lycée, je peux effectivement dire à quel point on en ressort blessé. Même 20 ans après. J'aurais aimé avoir des directrices donnant des leçons de MORALE. Car oui, l'école n'est pas que l'éducation des connaissances. C'est aussi une école où on doit apprendre à bien se comporter avec les autres. Il est formellement interdit de manquer de respect à quiconque. Enfants comme adultes. Les professeurs parlent respectueusement aux enfants, qui leur répondent également respectueusement. Il n'y a aucune sanction pour des résultats scolaires insuffisants (l'élève reçoit de l'aide), mais sur le comportement, oui. 


Mais tout commence là, dans la cour d'école. De 5 à 18 ans, les enfants deviennent ados, puis petits adultes. Les réflexions pas gentilles générées par des enfants maladroits deviennent des insultes ciblées pour blesser, pour mettre à terre. La souffrance engendrée n'a pas beaucoup de voies de sortie disponibles. Contre soi, ou contre les autres. Soit l'enfant est blessé, triste. Soit il devient blessant, aigri.


 Les "t'es con", "t'es moche" peuvent avoir la mortelle virulence du nombre. C'est chaque enfant, et chaque adulte, qui a le pouvoir de faire du mal, ou du bien à ceux qu'il côtoie chaque jour, c'est un choix. Je voulais partager l'histoire de la feuille, au cas où vous souhaiteriez vous en servir. Et je sais aussi que des enfants de mes amis me lisent. Alors les enfants, c'était ma petite leçon de morale. Promis, je n'en ferai pas beaucoup.

Stop bullying
Stop au harcèlement scolaire

10 commentaires:

  1. Eh bien tu vois ton témoignage me bouleverse... en même temps, je suis fière et heureuse de t'apprendre qu'il y a eu la même chose dans l'école de ma fille, sauf que ce n'est pas une page blanche mais une sorte de marionnette en papier, ce qui revient au même, avec le même discours de la directrice (qui a changé d'établissement à la rentrée, mais la prochaine est tout à fait dans la même mouvance.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Excellente nouvelle. C'est la directrice qui donne le ton à l'école. En primaire, mais surtout, surtout, au collège et au lycée où le harcèlement devient plus grave, plus violent.

      Supprimer
  2. merci pour ton partage, c'est précieux

    RépondreSupprimer
  3. Merci pour cette histoire, j'espère en revoir d'autres ici! L'éducation à l'Américaine me fascine par ce genre de bon coté. En France on dit "tu es complètement stupide". Aux USA on dit "That's a stupid thing to do". Et c'est totalement différent.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est vrai que c'est différent. Il y a, comme toujours, un effet pervers à tout ça. Mais pour les enfants, au quotidien à l'école, c'est beaucoup mieux.

      Supprimer
  4. Magnifique témoignage.
    J'apprends beaucoup de ton blog et sur système éducatif américain.
    Gros bisous
    Surtout ne t'arrête pas ! Valérie

    RépondreSupprimer
  5. @moineau en France on ne dit pas aux enfants qu'ils sont stupides. C'est tout le contraire, nous expliquons et nous valorisons les enfants. La seule différence c'est que personne ne dérape aux USA contrairement à ici où les instits n'ont aucun suivi et pas de comptes à rendre ce qui laisse la porte ouverte à tous les débordements.
    Valerie

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, il y a quelques instits qui ne maîtrisent pas. Et le système ultra centralisé n'aide pas du tout.

      Supprimer